L’étude de la Neustadt a été réalisée dans la cadre de la révision/extension du Plan de sauvegarde et de mise en valeur de Metz, dont la surface initiale a été multipliée par sept, afin de prendre en compte la diversité des patrimoines du centre historique et consacrer en particulier, la reconnaissance de la Nouvelle-Ville, dans toute la complexité de sa réception critique. Son remarquable patrimoine architectural et urbain fait en effet, depuis quelques années, l’objet de l’attention des historiens, architectes et urbanistes, mais également des gestionnaires de la Ville.
Faire d’une place forte la capitale d’un district impérial
Si la ville ancienne de Metz fait l’objet, pendant l’Annexion à l’Empire allemand1
, de transformations architecturales ponctuelles à l’intérieur des murs, l’événement urbanistique majeur de cette période reste la création d’une nouvelle ville au sud-ouest du noyau ancien. Alors que la construction de la Neustadt de Strasbourg commence dès 1880 et selon des principes somme toute assez différents, il faut attendre 1902 pour que Metz soit dotée d’un plan d’extension. Cette mise en place a été retardée par l’impérieuse nécessité de maintenir les fortifications de la première place forte mondiale, à quinze kilomètres de la frontière occidentale de l’Empire allemand.
Parallèlement, les Kreisstädte (sous-préfectures) du district de Lorraine, comme d’ailleurs les villes secondaires d’Alsace, sont également concernées par des programmes urbains nouveaux sans planification systématique. Les villes de Thionville, Sarrebourg ou encore Sarreguemines voient en effet apparaître, sur les franges de leur centre ancien, de nouveaux quartiers, souvent en lien direct avec la gare. Les Neustädte de Metz et Strasbourg constituent aujourd’hui les meilleurs exemples d’extensions urbaines de l’ancien Empire allemand, les quartiers analogues en Allemagne actuelle ayant été particulièrement bombardés lors de la Seconde Guerre mondiale.
Au tournant des XIXe et XXe siècles, les fortifications de Metz, qui n’avaient déjà pas pu freiner la défaite française en 1870, apparaissent obsolètes en termes militaires comme symboliques, l’Annexion paraissant être à présent définitivement actée. À partir de 1898, le démantèlement de la citadelle et des remparts, le comblement des fossés et l’ouverture de la ville sur son territoire suburbain libèrent alors des terrains considérables, en particulier au sud de la ville ancienne. L’idée d’y implanter la Nouvelle-Ville s’impose, afin de former une seule agglomération en reliant Metz, Le Sablon et Montigny-lès-Metz. La gare implantée par les Français, qui doit être conservée dans un premier temps, est intégrée au nouveau plan établi par l’architecte-urbaniste en chef de la Ville, Conrad Wahn. Son plan de 1899, très inspiré par l’haussmannisme, est amendé jusqu’en 1902 selon une direction davantage marquée par les théories de Richard Baumeister, Josef Stübben et Camillo Sitte, privilégiant les effets de surprise urbaine, de mise en scène et de pittoresque.
Planifier, modeler et orner
Cette ville nouvelle devait constituer un quartier sain, aéré, ornemental et symbolique, consacrant le rôle de Metz comme capitale du tiers lorrain du nouveau territoire impérial. Au-delà de la création de places, de rues droites ou courbes, et le zonage des constructions (introduit en 1903), l’un des impératifs de Wahn est de pouvoir percer un Ring autour de la ville, à l’emplacement des murs, constituant une ceinture de circulation et de promenade, une respiration urbaine et une voie utilitaire, décloisonnant et distribuant la ville ancienne. En cela, le Ring, qui complète les boulevards des XVIIIe et XIXe siècles des flancs ouest de la ville, constitue un prolongement naturel de la Nouvelle-Ville2
. Il a reçu plusieurs bâtiments et aménagements publics sous l’Annexion (temple de Garnison, Temple-Neuf, Nouvelles Promenades, chapelle du séminaire) et des édifices restaurés et transformés (porte des Allemands, tour Camoufle, porte Serpenoise) sont maintenus comme autant d’ornements qui en jalonnent le parcours. Ils marquent dans la pierre, avec la centaine de bâtiments construits sous l’Annexion dans le noyau originel, l’empreinte historique de cette période.
Le parcellaire créé dans la Nouvelle-Ville rompt totalement avec le tissu ancien du centre de Metz. Les parcelles, issues d’un processus de lotissement, font la part belle aux espaces libres, qui sont végétalisés autour des villas et petits immeubles, et minéralisés derrière les grands immeubles. L’examen du parcellaire montre une grande homogénéité, avec des terrains allant de 200 m² à 800 m². Cette homogénéité se traduit aussi dans le bâti (entre 100 m² et 500 m² au sol dans la Neustadt, en raison de l’adoption de gabarits récurrents).
On peut ainsi distinguer trois types d’immeubles dans la Neustadt de Metz, typologie volontairement induite par la nature du règlement de 1902 : de grands immeubles résidentiels ou commerciaux, qui se concentrent sur les artères principales, surtout près de la gare et sur les axes reliant la ville ancienne à Montigny (la moitié du bâti de la Neustadt) ; des immeubles moyens plurifamiliaux, comprenant généralement un maximum de quatre à cinq appartements, qui occupent les bords des voies secondaires plus étroites, et peuvent être implantés en léger retrait avec jardinet d’accueil (environ 10% du bâti) ; et les villas, parfois indépendantes mais souvent mitoyennes que l’on trouve sur une rive de l’avenue Foch, et dans le secteur sud-ouest, aux abords du canal de Jouy (plus de 30% du bâti).
Au-delà de ces typologies domestiques, de grands équipements jalonnent la Neustadt, constituant pour chaque secteur un ornement et un élément d’identité. La nouvelle gare et l’hôtel des postes sont à ce titre des édifices majeurs, mais les autorités allemandes ont complété ces implantations par la construction de l’intendance militaire, d’un hôtel des Corporations, de la Banque d’Empire, ou encore d’établissements scolaires. Les hôtels des Œuvres catholiques et des Œuvres protestantes, d’initiative privée, participent de cette dynamique, tandis que le projet d’église paroissiale près de la porte Serpenoise ne voit finalement le jour que plus tardivement, et sur un emplacement plus au sud3 , près du quartier Montignien de La Vacquinière. Enfin, pièce architecturale maîtresse, équipement et plus grande de toutes les villas, le palais du gouverneur est construit dans un parc, sur l’un des bastions de l’ancienne citadelle, entre la Neustadt et l’Esplanade bordant la Vieille-Ville.
Le terreau d’une émulation architecturale
Entre les deux guerres mondiales, le plan d’extension et son règlement, jugés très efficients, sont repris, suivis et complétés presque entièrement selon les principes posés par Wahn en 1902. Seuls changent les styles adoptés pour les façades, qui suivent les modes nouvelles. Sans trancher avec l’historicisme dominant (la moitié des façades) et le Jugendstil de l’Annexion, l’Art déco et le retour à certains codes d’un classicisme réinterprété ne font finalement qu’ajouter des variations architecturales dans un quartier où le règlement urbain favorisait dès l’origine la multiplicité des écritures, dans l’usage des matériaux (pierres de différentes natures et couleurs, locales ou importées du sillon rhénan) comme dans les formes choisies (éclectisme des styles).
Surtout, la Nouvelle-Ville a été le terrain d’expérimentation de nombreux architectes français, lorrains, allemands et même italiens, et le lieu d’expression d’un Modern style proprement messin, très influencé par les préceptes des Ecoles de Darmstadt et Karlsruhe, et dont les tenants, Robert Dirr par exemple, connaissent alors une carrière remarquable. À ce titre, les façades en Nouvelle-Ville sont partagées en deux groupes presque équivalents, entre façades au décor abondant marqué par un relief prononcé et façades relevant d’une plus grande sobriété, avec un relief peu marqué voire absent. La diversité (architecturale) dans l’unité (urbaine), ce principe, qui était déjà l’un des fondements de l’Art nouveau, trouve ici pleinement sa concrétisation.
En 1918, la Nouvelle-Ville n’est construite qu’à 38%. L’Entre-Deux-Guerres représente 60% du bâti, l’Après-Guerre 2% seulement. La Neustadt de Metz est donc une œuvre urbaine majoritairement allemande mais une œuvre architecturale majoritairement française. Elle reste quoi qu’il en soit un parfait exemple de continuité au-delà des mutations politiques et territoriales.
La préservation des éléments de décor des façades (sculpture, traitement différencié des enduits, couleurs) et des intérieurs (principes distributifs, ornementation) est un enjeu majeur pour la cohérence du quartier. À ce jour, seuls 4% des décors extérieurs ont été profondément altérés ou supprimés, et l’altération des intérieurs reste encore limitée. Le plan de sauvegarde et de mise en valeur en phase finale d’approbation, assurera une gestion rigoureuse de ce patrimoine exceptionnel, tout en favorisant son évolution et son adaptation aux modes de vie actuels.
- Sur l’Annexion, on pourra lire : ROTH François, La Lorraine annexée, 1870-1918, Metz, Ed. Serpenoise, 2nde édition, 2007 ; et, du même auteur, L’Alsace-Lorraine, un pays disparu, Nancy, Ed. Place Stanislas, 2010. ↩
- Le comblement du bras intérieur de la Seille en 1907 a permis de compléter le Ring par une voie pénétrante qui assure la liaison avec le quartier Outre-Seille et les abords de la place Saint-Louis. ↩
- Il aboutira au chef-d’œuvre que constitue l’église Sainte-Thérèse, construite entre 1938 et 1954 par Roger-Henri Expert et Théophile Dedun. ↩